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La revanche du local : quand l’alimentation locale (re)devient une nécessité

alimentation locale

Il aura fallu la fermeture des frontières et le confinement de milliards d’individus pour que le mot « local », démonétisé par des décennies de mondialisation, fasse un retour en force dans nos vies et dans le discours politico-économique ambiant. Il aura fallu cette chose inouïe – ni plus ni moins que la mise à l’arrêt de la production mondiale – pour qu’il ne paraisse plus ni incongru ni rétrograde de parler ouvertement de relocalisation d’activités et de production locale, au nom d’une souveraineté à reconquérir.

La revanche du local aura-t-elle lieu pour autant ? On ne peut en jurer, tant il y a à l’œuvre de forces contraires. Mais il y a au moins deux domaines où la leçon a d’ores et déjà été trop rude pour que le « monde d’après », qui se rêve résilient, n’en retienne rien :

  • Celui, essentiel, des produits sanitaires et pharmaceutiques dont les économies « avancées », confiantes dans leurs accords commerciaux et la robustesse de leurs chaînes logistiques, n’imaginaient pas qu’ils puissent venir à manquer. Après 40 ans de délocalisation à marche forcée de la production en Chine et en Inde, l’expérience cuisante de la pénurie de masques ainsi que la possible rupture des approvisionnements en principes actifs pour les médicaments de base inciteront probablement les États à (re)constituer des stocks stratégiques et, peut-être, à relocaliser certaines productions. En attendant, c’est aux échelons les plus locaux qui soient – commune, quartier, immeuble – que les bonnes volontés s’organisent en France pour produire localement les désormais fameux masques « alternatifs ».
  • Celui, vital, des produits alimentairesd’autant plus intéressant à observer que la crise actuelle a tout à la fois réveillé chez nos contemporains la peur ancestrale de manquer, concentré la demande sur les produits de première nécessité et reposé de manière aiguë la question oubliée par les pays développés : celle de l’autonomie alimentaire. La période révèle que nous sommes loin du compte. Mais, parce que le terrain a été largement préparé et que les comportements avaient commencé à changer bien avant la pandémie, c’est bien dans le domaine de la production et de la consommation alimentaires que le « local » pourrait marquer des points et accélérer le changement de modèle qu’appelle le changement climatique.

Devant les rayons vides…

Cette crise, qui a désorganisé le transport et les flux d’approvisionnements internationaux, nous a donné à voir l’inimaginable : des rayons alimentaires vides ! en France ! Elle nous a, ce faisant, laissé entrevoir aussi un spectre, celui de la pénurie, inconnu de presque tous dans un pays dont une grande partie de la population n’a vécu aucune guerre. Ce fut très temporaire, mais suffisamment frappant pour que le président de la République française reconnaisse, le 13 mars 2020, que « déléguer notre alimentation […] à d’autres est une folie ». Cette déclaration, à rebours des politiques menées depuis 40 ans, a peut-être surpris les commentateurs complaisants des chaînes d’information, mais pas les consommateurs !

Cette folie, voilà longtemps qu’ils cherchent à y échapper ! Marqués par les anciens scandales de la vache folle et des lasagnes au cheval, informés par d’innombrables enquêtes sur les dessous et les ravages de la malbouffe, sensibilisés aux enjeux environnementaux et au bien-être animal, les consommateurs ont entamé depuis près de deux décennies la reconquête de leur assiette. La preuve : en tendance longue, ils se détournent, lentement mais inexorablement, de la grande distribution et de l’alimentation industrielle au profit, autant que leur pouvoir d’achat les y autorise, des commerces de proximité, de l’artisanat de bouche traditionnel, des marchés de plein air, des magasins de producteurs, des AMAP et autres systèmes d’achat direct aux producteurs ou en circuit court.

Les coûts cachés de l’abondance alimentaire bon marché

Force est cependant de constater que l’imaginaire alimentaire a changé plus vite que les comportements réels, car c’est toujours dans les hyper et supermarchés des grandes enseignes que les Français font la majorité de leurs achats alimentaires (83% en 2017, dont 10% chez les hard discounters – source FranceAgriMer 2018). Les aspirations alimentaires ont surtout changé plus vite et dans le sens inverse du système agroalimentaire mondialisé qui, s’il est décrié aujourd’hui, a néanmoins permis à partir des années 1960 de garantir aux Occidentaux l’accès permanent à une nourriture abondante et bon marché. La contrepartie : des productions agricoles intensives dopées aux intrants, déconnectées des besoins locaux, cotées sur des marchés de matières premières mondiaux et ayant pour débouché une industrie agroalimentaire planétaire réalisant des économies d’échelles phénoménales.

Les résultats ont été au rendez-vous : en France par exemple, la part de l’alimentation dans le budget des ménages est passée de 21% en 1968 à seulement 13% en 2014 (Insee via Le Monde). Cette baisse (- 61,9%) a boosté pendant des années la consommation dans d’autres secteurs mais, avec un modèle de production et de distribution ne tenant que par les prix bas, a eu des conséquences plutôt fâcheuses, tant pour la planète et le climat que pour le contenu de nos assiettes :

  • une explosion du nombre de produits transformés, qui représentent aujourd’hui 80% de ce que nous mangeons ;
  • une multiplication par 2 de la consommation de viande en 50 ans ; si elle a baissé de 12% en 10 ans (Credoc 2018), elle n’en est pas moins passée de 30 kg par an et par habitant en 1970 à 60 kg en 2018 (en incluant tous les produits carnés, transformés et non transformés) et représente tout de même 25% des dépenses alimentaires (France AgriMer 2018) ;
  • une part toujours plus importante de produits importés, qui atteint 43% pour les fruits et légumes consommés en France (2018), et pas seulement pour les produits « exotiques » comme en témoigne l’aberrante présence de tomates de Hollande et d’Espagne sur nos étals en plein été…

Nous avons cru remporter une victoire définitive en affranchissant notre alimentation des territoires, des saisons, des aléas climatiques, des mauvaises récoltes. Si l’abondance a été au rendez-vous, c’est au prix d’une empreinte écologique catastrophique et d’une dépendance croissante à des flux logistiques dont la rupture brutale laisserait à une ville comme Paris 3 jours d’autonomie alimentaire.

Reconnecter l’offre et la demande alimentaire locale, un défi pour les territoires

En 2017, le cabinet Utopies a publié une étude passionnante évaluant à seulement 2% le degré d’autonomie alimentaires moyen des 100 premières aires urbaines françaises. Cela signifie que 98% des produits alimentaires (bruts, élaborés, transformés ou cuisinés) consommés par les ménages ne viennent pas de leur bassin de vie. « Et la raison n’est aucunement une carence de production alimentaire sur les territoires en question, puisque dans le même temps, 97% de l’agriculture locale des 100 premières aires urbaines finit dans des produits alimentaires consommés à l’extérieur du territoire… ». C’est dire si l’on part de loin et s’il faudra du temps pour modifier les innombrables paramètres ayant conduit à de tels déséquilibres.

A l’heure où un nombre croissant de territoires, tant ruraux qu’urbains, affichent la volonté d’accroître leur autonomie alimentaire, les plus avancés dans ce domaine savent que la route est non seulement longue, mais aussi ingrate et compliquée… Comme le montre le remarquable guide publié par l’association Les Greniers d’abondance,  transformer le système alimentaire d’un territoire en vue d’une plus grande résilience implique en effet de :

  • faire évoluer les politiques foncières,
  • accompagner les producteurs dans leur installation ou leur reconversion,
  • favoriser la création d’unités de transformation,
  • développer des structures locales de stockage et de distribution en circuit court,
  • augmenter la part du local dans la restauration collective (cantines, EHPAD, hôpitaux, restaurants d’entreprises…)

Le tout, de front et en veillant à minimiser et à optimiser les flux de transport entre tous les points de production, de distribution et de consommation du territoire.

C’est le moment ou jamais d’accélérer !

Avec le choc planétaire causé par ce virus, au moment où des populations urbaines fragilisées se retrouvent en état de précarité alimentaire, avoir accès à une alimentation locale n’apparaît plus seulement comme désirable, mais comme une nécessité, aussi bien pour les collectivités que pour les individus. Si tout le monde s’est félicité de voir producteurs, artisans, entreprises agroalimentaires, commerce de proximité, supermarchés et transporteurs se mobiliser au plus près du terrain pour trouver des solutions, les efforts pour rapprocher durablement l’offre et la demande locales doivent être intensifiés et la recherche dans ce domaine encouragée.

La (re)construction de systèmes alimentaires locaux, réarticulant les capacités productives et les besoins de chaque territoire, impose à toutes les parties prenantes de renouer avec la géographie afin de travailler avec elle, et non contre elle. De la compréhension des flux existants à l’étude d’implantation de nouvelles infrastructures, en passant par la restauration des sols et l’optimisation des circuits de distribution, la prise en compte de la dimension géographique est un facteur clé de pertinence des décisions et de réussite des projets territoriaux.

C’est dans cette optique que Nomadia est partenaire du projet de recherche PICORA (Pratiques Inclusives de COnsommation Régionale Alimentaire) de l’Institut de Recherche en Gestion de l’Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC). Ce projet a pour objectif d’établir un diagnostic des dispositifs d’offre alimentaire locale et de les mettre en regard des pratiques de consommation des habitants afin d’identifier les leviers permettant de faire de l’alimentation locale une pratique inclusive en zone urbaine. Pour son exploration des pratiques et l’étude de leur inscription sur le territoire, l’équipe de recherche s’appuiera notamment sur nos solutions TourSolver et Territory Manager. Nous ne manquerons pas, le temps venu, de vous communiquer les résultats de cette démarche.