Grande consommation alimentaire : « le gâteau a cessé de grossir ! »
Organisée par Nomadia, la matinale Force de vente du 12 octobre dernier a fait une large place à l’analyse du marché de la grande consommation et aux défis que doivent relever les industriels de la filière alimentaire dans un contexte marqué par le recul des ventes. Revivez l’évènement qui a mis en lumière les tendances à retenir pour aborder 2024 avec la bonne stratégie !
Un horizon marqué par l’inflation
Oui, l’inflation générale ralentit. Elle devrait continuer de refluer en 2024 pour se stabiliser autour de 2,5 % en 2025 selon la Banque de France. Mais en attendant, la consommation ne repart pas. Elle est même au plus bas, en valeur et en volume, dans l’alimentaire où les prix ont augmenté de plus de 20 % en 2 ans : sur un panier de 150 produits « stars » des rayons alimentaires, le ticket de caisse a bondi de 26,6 % entre février 2022 et juillet 2023 (source A3distrib – Nielsen IQ). Dans le même temps, les salaires n’ont progressé que de 4,5 % en moyenne (Insee), avec une conséquence sociologique déterminante pour les industriels et les distributeurs :
« L’inflation alimentaire produit du déclassement puisqu’il y a de fait une baisse du pouvoir d’achat des Français. Au-delà même de la réalité statistique, c’est le ressenti des consommateurs qui produit ce sentiment de déclassement, qui lui-même produit les modifications de comportement d’achat que l’on observe en magasin. »
Olivier Dauvers
Face à l’érosion de leur pouvoir d’achat, les ménages s’adaptent en arbitrant à 3 niveaux :
>> Arbitrage entre les enseignes, en se tournant vers celles qui ont la meilleure image prix. Cela explique la progression de E. Leclerc dont la part de marché en valeur augmente de plus de 1 % par mois depuis avril 2023, « un niveau de croissance que l’on n’a jamais vu en plus de 30 ans sur une période aussi longue ».
>> Arbitrage sur la qualité, en abandonnant les marques nationales au profit des marques distributeur (MDD) puis des ‘Premier prix’ afin de préserver les quantités achetées.
« La montée en gamme (bio, marque) a été le moteur n°1 de la croissance pendant 10 ans. En 2023, on assiste à une descente en gamme inédite depuis au moins 10 ans. Les MDD progressent de 0,9 point de part de marché et les premiers prix de 0,6. Les deux cumulés dépassent 43 % de part de marché sur les 3 premiers trimestres 2023. »
Nicolas Léger, Analytic Team Director, NielsenIQ
>> Arbitrage sur la quantité, avec un impact catastrophique sur les volumes qui, après le pic de la période covid, s’effondrent au niveau de 2014 alors que, sur la même période, les dépenses annuelles par habitant ont augmenté de 13,4 % (NielsenIQ).
Il est à noter que ces arbitrages ne concernent plus seulement les ménages les plus modestes. Ces derniers se sont adaptés en 2022 et, « arrivés quasiment à l’os », n’ont plus vraiment de marge de manœuvre. En 2023, ce sont les classes moyennes supérieures qui réduisent leurs achats PGC-FLS, en recul de 3,4 % en volume par rapport à 2022 (NielsenIQ).
Un risque de « déconsommation » durable ?
C’est peu de dire que le mot « déconsommation » inquiète le monde du retail. Les réactions des commerçants à la récente campagne de l’Ademe mettant en scène un « dévendeur » prouvent à quel point le sujet est sensible. Mais il y a une différence notable entre restreindre volontairement ses achats de vêtements ou d’électroménager pour des raisons écologiques et être contraint de réduire ses achats alimentaires essentiels faute de moyens. Un tiers des Français en sont pourtant là, tandis que 3 sur 4 reconnaissent avoir des fins de mois compliquées (étude Apinio/LSA août 2023).
En matière d’alimentation, si les Français déconsomment c’est parce qu’ils n’ont pas le choix. Croire que, l’inflation commençant à se tasser, la consommation alimentaire va repartir rapidement à la hausse, c’est se bercer d’illusion. Cela supposerait en effet un redressement drastique du pouvoir d’achat grâce à des augmentations de salaire plus substantielles et à des mesures sociales plus généreuses, ce qui n’est pas à l’ordre du jour en France par peur de déclencher une boucle prix-salaires impossible à maîtriser.
Cette boucle prix-salaires est d’autant moins d’actualité que l’existence d’une boucle prix-profit est, elle, de plus en plus avérée et a même été confirmée par le FMI et la BCE. Si les prix alimentaires ont exagérément augmenté, c’est parce que les industriels ont profité de la situation pour rétablir leurs marges, notamment en ne répercutant pas les baisses de cours des matières premières alimentaires survenues depuis l’été 2022. Les augmentations passées en 2022 reflétaient peu ou prou l’enchérissement des coûts de production des industriels (matières premières et énergie) déclenché par le conflit russo-ukrainien. Celles de 2023 sont, en revanche, jugées déraisonnables au vu du taux de marge des industries agroalimentaires, au plus haut depuis 30 ans à 48 % (contre 28 % fin 2021) (Insee).
Il est urgent que les prix baissent !
Contribuant pour moitié à l’inflation alimentaire subie par les ménages, les marges des grandes entreprises et de la grande distribution sont la cause de cette « déconsommation forcée » qui ne peut se prolonger sans risque : risque d’explosion sociale, parce que se nourrir est vital ; risque d’effondrement des ventes pour l’ensemble de la filière – industriels et distributeurs – faute de clients solvables…
Pour que la consommation alimentaire reparte, il n’y a qu’une solution à court terme : les prix alimentaires doivent baisser. Et vite ! C’est ce que résume le message musclé qu’Olivier Dauvers a adressé aux industriels PGC-FLS présents à la matinale :
« Il vaudrait mieux que la baisse de prix arrive, sinon c’est #giletsjaunes. Et là, l’ensemble de la filière a une forme de responsabilité, sociale et business. J’espère que vous n’imaginez pas un seul instant que la demande va rester au niveau où elle est si les prix restent au niveau où ils sont actuellement.
Il va falloir que vous trouviez des solutions. Sinon les marques vont devenir des produits de luxe et les marques que vous représentez ne seront plus du « mass market », mais du « niche market » et les MDD deviendront le cœur de l’alimentation des Français. Il faut le dire : aujourd’hui, il y a une forme d’irresponsabilité collective sur le prix de la nourriture. »
Mais, pour relancer la demande, les prix doivent baisser de manière à la fois globale, significative et durable. Des baisses de 2 ou 5 centimes sur quelques produits « à prix bloqué » représentent certes un effort pour les industriels et les distributeurs, mais ne font et ne feront pas la différence pour le consommateur au moment du passage en caisse. Or de baisse générale, il n’est pas question. Si l’on s’en tient aux dernières déclarations du président de l’Ania (Association Nationale des Industries Alimentaires), en 2024 les prix devraient cesser d’augmenter, mais ils ne baisseront pas. La plupart des industriels abordent les négociations commerciales annuelles avec la grande distribution avec des prix en hausse, ce qui revient à renvoyer les efforts sur les prix en rayon dans le camp des distributeurs. L’avancée de la clôture des négociations à fin janvier sur laquelle comptaient le gouvernement et les distributeurs pour faire baisser les prix ne donnera pas les résultats escomptés…
L’éléphant au milieu de la pièce
Il est tout à fait logique que l’inflation et ses conséquences soient au centre des préoccupations des acteurs de la grande consommation. Mais ces questions conjoncturelles ne doivent pas faire oublier des tendances structurelles de plus long terme, cruciales pour l’avenir de la grande distribution et de ses fournisseurs. L’éléphant au milieu de la pièce, la réalité dont on ne tient pas suffisamment compte, c’est que la consommation générale en France progresse en moyenne de seulement 0,4 % par an depuis 2008, contre 2,6 % avant 2008.
« Cela signifie que depuis 15 ans le « gâteau » sur lequel vous êtes tous — vous, industriels fournisseurs et vos partenaires distributeurs — ne grossit plus. Quand le marché progresse de 2 à 3 % par an, tout le monde avance, même les mauvais. Quand il n’augmente plus que de 0,4 % comme c’est le cas en France depuis 15 ans, il devient plus difficile de rester dans le vert et plus facile de basculer dans le rouge. »
Olivier Dauvers
Le fléchissement de la demande ne s’explique pas tant par les aléas de la conjoncture que par la démographie : avec un solde naturel divisé par 4,7 entre 2014 et 2022 et un nombre de naissances en voie d’être dépassé par celui des décès, la population française stagne et vieillit. L’effet sur la consommation alimentaire est aussi prévisible que durablement défavorable : année après année, il y a de moins en moins de nouvelles bouches à nourrir et de plus en plus de personnes âgées ayant besoin d’un apport calorique moindre. C’est pour cette raison que le ‘gâteau’ ne grossit plus.
Et pourtant, malgré cette réalité, la grande distribution continue d’augmenter ses capacités dédiées à l’alimentaire en construisant des mètres carrés, notamment de drive ; en généralisant l’ouverture le dimanche ; et, concurrence du e-commerce oblige, en réduisant progressivement ses rayons non alimentaires en magasin.
La conjugaison de ces trois réalités incontestables – ralentissement structurel de la consommation, développement du e-commerce et accroissement de l’offre commerciale – aboutit à une évidence : les rendements commerciaux baissent, ce qui fragilise le modèle même de la grande distribution alimentaire à la française.
Voilà de bien sombres perspectives, penserez-vous. Mais ce n’est pas en niant les réalités qu’on construit une stratégie gagnante et qu’on exploite au mieux les opportunités ! Or des opportunités, il y en a pour les acteurs de la grande consommation qui sauront analyser en profondeur les comportements des consommateurs et les potentiels locaux. C’est à cela que servent nos outils d’analyse et de géomarketing, ainsi que nos solutions d’optimisation des forces de vente terrain. Promis : on vous explique tout ça dans un prochain billet !