Décarbonation

Décarbonation et transition écologique : les entreprises vont-elles assez vite ?

Visuel décarbonation et transition écologique bord rond

Tout le monde s’accorde sur la nécessité de préserver les conditions d’habitabilité de la planète, en premier lieu en décarbonant les activités humaines. Mais on sous-estime les implications de cet impératif pour les entreprises, ainsi que le calendrier dans lequel elles doivent ni plus ni moins que « tout changer ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? On examine la question dans le BTP et les transports, deux secteurs où la décarbonation est un immense défi !

La France parvient à réduire ses émissions territoriales de gaz à effet de serre (GES). Selon les dernières estimations, elles ont baissé de 5,8 % en 2023 par rapport à 2022 et tous les grands secteurs émetteurs participent à cette réduction (pré-estimations du Citepa, 23 mai 2024*). Malheureusement, en matière de CO2, c’est à l’échelle mondiale qu’il faut raisonner et, sur ce point, les données du GIEC sont claires : les émissions globales de GES continuent d’augmenter de 1,5 % par an, alors qu’il faudrait qu’elles baissent de 5 % par an si l’on veut réellement éviter le pire, c’est-à-dire une planète invivable pour une grande partie de l’humanité à l’horizon 2050. Donc, non, nous n’allons pas assez vite et surtout nous peinons à prendre la mesure de ce qu’implique la décarbonation dans des secteurs clés de l’économie comme le BTP et la logistique. La conférence d’ouverture du SITL 2024 a été l’occasion de reposer les bases de la problématique de transformation de ces deux secteurs qui voient leur empreinte carbone continuer de croître à l’échelle mondiale. Comment sortir de cette spirale ? En travaillant sur des « trajectoires de décarbonation crédibles » qui, pour reprendre les mots de Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable & QSE (Qualité-Sécurité-Environnement) du Groupe Bouygues, reviennent à reconsidérer toutes les facettes de l’activité d’une entreprise et à « tout changer ». Tout changer, certes, mais sans pour autant renoncer à la croissance et à la profitabilité, là est le véritable défi de la décarbonation.

Décarbonation du BTP, l’exemple du groupe Bouygues

En France, le secteur du BTP représente environ 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Si c’est moins qu’au niveau mondial, grâce à la part de l’électricité décarbonée (nucléaire) dans le mix énergétique français, la décarbonation des activités d’un groupe comme Bouygues n’en reste pas moins un immense défi qui impose des changements radicaux et l’activation simultanée de multiples leviers.

Le premier levier évoqué par Fabrice Bonnifet est l’empreinte matériaux. Le BTP utilise encore massivement le ciment dont la fabrication traditionnelle est fortement émettrice de CO2.

« Heureusement, il y a maintenant des matériaux alternatifs, en particulier des ciments bas carbone, et nous travaillons avec les cimentiers pour en augmenter la part dans nos constructions. Mais ça va être long et ça va coûter très cher. Donc la solution qu’on va continuer de pousser est le recours à des matériaux biosourcés. Il n’y en aura pas pour tout le monde car il y a des conflits d’usage qui font augmenter le prix de ces matières premières. Face à ces difficultés, la stratégie est de déporter l’activité de Bouygues, traditionnellement centrée sur le neuf, vers la rénovation. »

Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable & QSE

Passer d’une entreprise qui construit du neuf à une entreprise essentiellement tournée vers la rénovation est un changement compliqué en termes d’organisation et de compétences, mais c’est aussi une opportunité. En effet dans les pays à hauts revenus comme la France, déjà très équipés en infrastructures, « l’enjeu est de rénover ces infrastructures d’ici 2050 pour les amener à des niveaux d’efficacité énergétique acceptables, avec des étiquetages A ou B pour les logements et tout le bâti tertiaire qui a lui aussi bien besoin d’être rénové. »

Mais ces deux leviers ne suffiront pas. D’où la nécessité de mettre en place de nouveaux modèles économiques basés sur la fonctionnalité, c’est-à-dire l’usage des infrastructures et bâtiments. Cela signifie que, demain, au lieu de devenir propriétaires des bâtiments construits par Bouygues et de tous les équipements qu’ils contiennent, les clients achèteront seulement l’usage de ces bâtiments. Dans ce modèle, les équipementiers – ceux qui fournissent les ascenseurs, le système d’éclairage, la ventilation, etc. – restent propriétaires des équipements et en assurent la maintenance dans une perspective de long terme. C’est ce qu’on appelle le « material as a service ». L’avantage de ce système ? La possibilité de doubler, voire tripler la durée de vie des équipements et de les recycler plus efficacement lorsqu’ils arrivent en fin de vie, ce qui est une contribution significative à la réduction de l’empreinte carbone globale.

Dans le prolongement de ces logiques, le groupe Bouygues travaille également sur l’intensification de l’usage des bâtiments. Le taux d’utilisation est de 15 % à 20 % pour les bâtiments publics et de 25 % pour les bâtiments privés tertiaires. C’est extrêmement faible. Avec le rachat d’Equans (ancienne filiale d’Engie et leader des services multitechniques) fin 2022, le groupe Bouygues se propose d’accompagner ses clients dans l’intensification des usages de leurs bâtiments en recherchant des utilisateurs secondaires pour les espaces qu’ils n’utilisent pas ou sous-utilisent. Maximiser l’usage des bâtiments est un moyen de générer des recettes d’exploitation additionnelles et d’améliorer la rentabilité des bâtiments. Cette approche peut en partie compenser ce que l’entreprise va perdre en construisant moins et s’accompagne de co-bénéfices intéressants :

« Cela va nous permettre de répondre à un enjeu connexe à celui du carbone, celui de la biodiversité : on a trop artificialisé les sols partout dans les pays du nord et, dans les 50 ans qui viennent, il va falloir non seulement cesser d’artificialiser, mais désartificialiser. L’intensification et la maximisation des usages de l’existant vont nous y aider. »

Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable & QSE

La maximisation des usages concerne aussi les parkings des bâtiments qui sont voués à devenir des hubs d’électromobilité partagés où particuliers et professionnels pourront recharger leurs véhicules. La capacité de stockage de ces derniers participera à l’équilibre de la courbe de charge des bâtiments. Fabrice Bonnifet rappelle que les bâtiments neufs et rénovés produiront de plus en plus leurs propres flux physiques et deviendront à énergie positive.

« Bouygues a été un pionnier des bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire produisant plus d’électricité qu’il n’en consomme sur un an — tellement plus qu’ils vont pouvoir interagir avec les bâtiments connexes pour s’échanger des flux énergétiques avec l’aide du numérique. »

Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable & QSE

On comprend à travers ces quelques exemples l’ampleur des changements à engager pour rendre l’activité d’une grande entreprise comme Bouygues compatible avec les enjeux climatiques et environnementaux. Fabrice Bonnifet, qui est également président du C3D (collège des directeurs du développement durable) et administrateur du Shift Project (think tank fondé en 2010 par Jean-Marc Jancovici), rappelle cependant une vérité qui dérange encore la plupart des économistes orthodoxes et des dirigeants d’entreprise :

« Oui, il y a des solutions pour produire le monde autrement. Pour cela, bien sûr qu’on va avoir besoin de la technologie et du numérique ! Mais il y a quelque chose qu’il va falloir oser dire et admettre : il va falloir aussi ralentir et collectivement prendre conscience que dire qu’on peut faire toujours plus en consommant toujours moins est une vue de l’esprit. Cette vision se heurte à des limites physiques indépassables. Dans un monde aux ressources finies, la croissance infinie est mathématiquement impossible. La responsabilité aujourd’hui, c’est de se dire ces choses et de construire des plans de transition qui prennent en compte cette réalité physique du monde dans lequel on vit. »

Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable & QSE

Quels leviers pour décarboner le transport et la logistique ?

L’idée de devoir, peu ou prou, décroître est difficile à intégrer tant elle est contraire à la logique économique qui prévaut. Elle l’est encore plus dans le secteur du transport et de la logistique, devenu un rouage crucial de nos chaînes de valeur mondialisées, pour ne pas dire la condition même de leur existence. Le problème est que, au niveau mondial, les émissions de CO2 du transport de marchandises augmentent de 2 % par an depuis le début des années 2000. La France s’est fixé des objectifs extrêmement ambitieux : la Stratégie Nationale Bas Carbone vise en effet une réduction de quasiment 100% des émissions carbone du transport de fret à l’horizon 2050.

Pour concrétiser cette ambition nationale, Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique, insiste sur la nécessité pour toutes les parties prenantes d’activer simultanément 3 leviers : le maillage, la massification, les motorisations.

    •  Le maillage renvoie à la question de la localisation/relocalisation des entrepôts sur le territoire national. Si les grands entrepôts stratégiques restent au-delà des frontières, en Espagne ou sur le port d’Anvers, la France est pénalisée par le nombre de kilomètres que les marchandises doivent parcourir par la route, ce qui plombe son bilan carbone. La législation « zéro artificialisation nette » ne facilite pas l’amélioration du maillage national car il devient de plus en plus difficile de créer de grands entrepôts/centres logistiques. La présidente de France Logistique note cependant que « les choses avancent relativement vite et bien sur les sujets de logistique urbaine parce qu’un certain nombre d’élus s’efforcent de trouver des espaces un peu moins éloignés pour assurer la desserte des commerçants et autres entreprises de leur territoire. »
    • La massification, même si l’on pense en priorité aux capacités massives de transport de marchandises du rail et du fluvial, concerne au premier chef l’amélioration des taux de remplissage des camions et la réduction drastique des retours à vide. « Cette optimisation des capacités et des tournées repose fondamentalement sur des échanges de données efficaces qui ne sont pas si faciles à mettre en place. Beaucoup de clients n’aiment pas l’idée de partager des tournées et sont réticents à partager des données qui vont avec ». La massification renvoie aussi à la question des emballages qui, quand ils ne peuvent être évités, doivent être pensés pour occuper le moins de volume possible, être réutilisables ou, au minimum, facilement recyclables. En assurer la collecte systématique une fois les marchandises livrées fait partie intégrante d’une reverse logistique qui n’en est qu’à ses balbutiements, mais qui doit contribuer à la décarbonation globale du secteur et à la réduction de son empreinte environnementale.
    • La motorisation des camions est évidemment un sujet central pour la décarbonation du transport de marchandises. Le mouvement impulsé par l’Union européenne va résolument vers l’électrique, avec environ 10 ans de décalage par rapport à ce qui s’est passé sur les voitures particulières en termes de production de véhicules, de normes, de bornes de recharge. L’électrification du parc n’en est qu’à ses débuts et la transition va prendre du temps, surtout si l’on veut que les véhicules électriques soient français ou au moins européens. Même si l’offre s’améliore, le prix des camions et utilitaires électriques reste problématique pour les entreprises. Les aides financières publiques sont indispensables pour tous les acteurs, mais les transporteurs ont aussi un rôle à jouer vis-à-vis des sous-traitants auxquels ils font appel, notamment pour la livraison du dernier kilomètre. C’est ce que fait Heppner, comme l’explique son PDG :

« Nous avons beaucoup investi en interne pour transformer notre flotte qui est maintenant à plus de 50 % en énergie verte. On essaie différentes technologies : l’électrique, le gaz, le biogaz. Mais il faut avoir en tête que dans un groupe comme le nôtre, 97 % des émissions viennent du scope 3, c’est-à-dire de notre sous-traitance, et le dernier kilomètre en constitue une part absolument essentielle. Nous travaillons avec notre sous-traitance qui a plus de mal à changer parce que ce sont de plus petites entreprises, moins solides. Nous faisons évoluer notre business model pour leur proposer des contrats de plus long terme, des financements, un accompagnement sur les achats de véhicules. En 2023, 23 % de nos envois du dernier kilomètres sont réalisées en moyens verts. Nous visons 30 % en 2024, sachant que nous avons jusqu’ici toujours fait mieux que nos objectifs.»

Jean-Thomas Schmitt, PDG de Heppner

Ce type d’action montre que, plus que dans tout autre secteur, la décarbonation du transport passe par un dialogue et des collaborations renforcées entre entreprises partenaires et, plus largement, entre toutes les parties prenantes. Ce que confirme la présidente de France Logistique :« Depuis 3 ans, nous travaillons collectivement — logisticiens, transporteurs, constructeurs, énergéticiens — pour identifier les différents leviers et définir des feuilles de route communes, en particulier sur la question des motorisations. On avance tranquillement, à un rythme compatible avec les capacités financières des acteurs publics et privés, car tout cela coûte très cher.»

A ce rythme et compte tenu des moyens à engager, il paraît malheureusement peu probable que le secteur parvienne à l’objectif d’une décarbonation totale du transport de marchandises à l’horizon 2050. Mais les choses bougent, les parties prenantes se parlent et progressent sur les 3 volets de la stratégie de décarbonation.

Nomadia apporte sa pierre à l’édifice de la décarbonation en fournissant les technologies d’optimisation qui permettent aux acteurs du transport et de la logistique de réduire significativement leurs émissions grâce à des entrepôts stratégiquement localisés et à des tournées optimisées qui maximisent l’utilisation de leur flotte et minimisent les kilomètres parcourus.

Pour en savoir plus sur ces solutions et sur la manière dont nous pouvons vous accompagner dans la réduction de vos émissions de CO2, prenez rendez-vous avec un de nos experts.

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* Données pour la France métropolitaine et territoires d’Outre-mer, hors puits de carbone et hors l’UTCATF (Utilisation des Terres, Changements d’Affectation des Terres et Forêt).
** Toutes les citations sont issues de la conférence d’ouverture du SITL 2024 intitulée « Métamorphoses et voies du changement, quelles directions et quelles perspectives ? ».