Force de vente

[Interview] Produits de grande consommation : quels leviers pour améliorer la performance commerciale ?

Quels défis relèvent les acteurs de la grande consommation sur des marchés où consommateurs et distributeurs dictent de nouvelles règles ?

Account Manager chez Nomadia, Marianne Jouval travaille en particulier avec les acteurs du secteur des produits de grande consommation (PGC). Nous faisons le point avec elle sur les problématiques actuelles de ces industriels, avec un focus sur les défis que doivent relever les directions et équipes commerciales sur des marchés où consommateurs et distributeurs dictent de nouvelles règles du jeu.

Quelles sont les grandes tendances que tu vois à l’œuvre dans l’univers des PGC ?

J’en vois trois et elles sont étroitement liées à une même cause : l’évolution des attentes des consommateurs – dans l’alimentaire, mais aussi sur les segments hygiène, beauté et produits ménagers. Cette évolution se traduit depuis une dizaine d’années par une augmentation continue de la demande pour des produits plus sains, respectueux de l’environnement et éthiques. C’est là que se trouve le potentiel de croissance. Par exemple, d’après une étude de l’Agence Bio, en 2019, 7 Français sur 10 ont consommé des produits bio (alimentaires) au moins une fois par mois, contre 40% en 2011. Pour préserver leurs parts de marché et a fortiori en gagner, les acteurs PGC historiques doivent donc revisiter leurs gammes et innover dans ce sens, avec de tout ce que cela implique en amont en matière de sourcing « responsable » et, bien sûr, de maîtrise des coûts à tous les niveaux de la chaîne de valeur. C’est la première tendance.

Les industriels sont d’autant plus poussés à transformer leurs gammes que la grande distribution, après des décennies de « toujours plus », est aujourd’hui dans une logique de resserrement de ses assortiments. Pour lutter contre la désaffection persistante dont souffrent les hyper et supermarchés, les enseignes réduisent en effet les linéaires traditionnels au profit de concepts plus conviviaux, mais aussi plus gourmands en espace. Conséquence, elles réduisent aussi le nombre de références. Carrefour prévoit ainsi de réduire de 10% les assortiments de ses grandes surfaces à l’horizon 2022, principalement sur le non alimentaire. Même si le segment GMS (grandes & moyennes surfaces) reste de loin leur principal canal de vente, les acteurs PGC cherchent à compenser cette réduction en diversifiant leurs circuits et en multipliant les points de vente, notamment de proximité, où ils seront référencés sur des assortiments spécifiques ou plus sélectifs. C’est la deuxième tendance.

La troisième tendance concerne la construction d’une relation directe avec le consommateur final afin de mieux le connaître et de mieux anticiper ses attentes. Cela passe par le développement de sites e-commerce en propre et une présence forte sur les réseaux sociaux, notamment dans l’univers beauté-cosmétique. Cette approche, encore plutôt multicanal que véritablement omnicanal, est aussi un moyen pour les marques PGC historiques de contrer l’offensive des DNVB, ces jeunes marques « engagées » nées en ligne qui, en renouvelant les codes de la vente directe, gagnent des parts de marché. Forrester estime que ces petites marques captent déjà 10% du marché américain des produits de maquillage et progressent 4 fois plus vite que les marques historiques.

Quelles sont les préoccupations des directions commerciales que tu rencontres dans ce secteur ?

Les directeurs commerciaux doivent traduire la stratégie sur le terrain et donner à leurs équipes les moyens concrets de développer les ventes. Ils doivent les aider à concilier des enjeux de conquête de nouveaux marchés et de protection de parts de marché. Dans le contexte actuel de diversification des circuits de distribution, cela va de pair avec une différenciation des stratégies de présence et d’animation commerciale des points de vente : on ne travaille évidemment pas avec les boulangeries de quartier ou les pharmacies indépendantes comme avec de grandes enseignes.

Toute la difficulté est de mettre en place une organisation capable de couvrir l’ensemble du territoire et toutes les typologies de clients. Cela suppose de donner aux commerciaux non seulement des objectifs individuels en ligne avec la stratégie globale, mais aussi des portefeuilles clients équilibrés en termes de potentiel et de charge de travail. C’est typiquement une problématique de sectorisation à laquelle répond la solution Territory Manager de Nomadia.

La deuxième problématique est la gestion opérationnelle de la force de vente, avec des commerciaux itinérants qui doivent optimiser l’organisation de leur temps et de leurs déplacements en fonction de priorités qui changent et qui peuvent aller à l’encontre de leurs habitudes ou de leurs préférences. Notre solution Opti-Time leur ouvre des perspectives d’optimisation et de gain de productivité qui intéressent beaucoup les managers commerciaux.

Peux-tu revenir sur la manière dont les acteurs PGC appréhendent la sectorisation commerciale ?

Je rencontre deux cas de figures. Soit la sectorisation commerciale est réalisée en interne, soit elle est confiée à un cabinet extérieur. Dans le premier cas, rares sont les entreprises équipées d’une solution dédiée. Aussi surprenant que ça puisse paraître, le principal outil utilisé est Excel. Les secteurs commerciaux et les portefeuilles clients sont définis à partir d’indicateurs métiers, de données de marché fournies par les panélistes et des chiffres de vente. La sectorisation se traduit par des listes dont il est difficile de voir le lien avec le territoire, faute de représentation cartographique. Souvent le seul critère géographique pris en compte est le code postal ou la commune, ce qui ne rend absolument pas compte des réalités du terrain.

Cette méthode entérine aussi des évolutions contre-performantes, voire aberrantes : au fil du temps, des commerciaux s’en vont, d’autres arrivent, il faut réattribuer des comptes pour équilibrer les portefeuilles… Progressivement, les secteurs initiaux perdent en cohérence et en pertinence, la continuité territoriale disparaît… La performance des commerciaux finit toujours par s’en ressentir ; leur satisfaction et leur engagement aussi… Territory Manager évite ce type de dérives en proposant un découpage optimal tenant compte des réalités géographiques – en plus des critères business et RH. La représentation cartographique permet de s’assurer que tout le territoire est couvert et que les secteurs sont équilibrés. Elle permet également de visualiser immédiatement l’impact des attributions / réattributions de comptes et autres modifications apportées à la sectorisation initiale.

Ces possibilités intéressent également les entreprises qui font établir leur sectorisation commerciale par des cabinets spécialisés – soit périodiquement, soit dans des circonstances exceptionnelles, une fusion-acquisition par exemple, demandant une remise à plat complète de l’organisation de la force de vente. Le cabinet mandaté livre généralement des cartes du découpage préconisé, ainsi que des listes de clients et de prospects pour chaque commercial ou secteur. Le problème est qu’avec ces documents statiques les organisations ne sont pas autonomes : elles ne peuvent ni tester de nouvelles hypothèses, ni intégrer de nouveaux paramètres, ni voir les conséquences des ajustements demandés par les commerciaux. Parce qu’elles ont besoin d’autonomie et de réactivité, elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir s’équiper d’une solution dédiée à la sectorisation – ce qui, du reste, n’exclut pas de faire appel à l’expertise méthodologique et spécifique de consultants externes.

Quel est le degré de pénétration des outils de planification de tournées au sein des forces de vente PGC ?

Il en encore relativement faible, mais les directions commerciales y réfléchissent et s’y intéressent d’autant plus que nous avons des exemples de gains de productivité très probants. Ainsi, Danone Produits Frais France a augmenté de 25% le nombre de visites réalisées par sa force de vente en équipant ses commerciaux de tablettes et de notre solution Opti-Time for Salesforce couplée au CRM Salesforce. Cela représente 40 000 visites de plus par an ! Pour obtenir de tels résultats, il faut que les commerciaux soient les premiers à être convaincus de l’utilité de ces outils. Proposer à cette population, jalouse de son indépendance et de son autonomie, des plans de tournées établis et optimisés en fonction des priorités business peut être perçu dans un premier temps comme une volonté de contrôle. Mais les commerciaux qui jouent le jeu ne sont pas longs à s’apercevoir, d’une part, que cela leur fait gagner du temps et, d’autre part, que cela les aide à atteindre leurs objectifs. Par exemple, chez notre client Berner, les commerciaux en place ont d’abord rejeté Opti-Time : ils estimaient qu’ils maîtrisaient suffisamment bien leur portefeuille et leur secteur pour savoir quels clients ils devaient voir et quand. La direction a décidé de ne pas leur imposer l’outil, mais l’a mis en place pour les nouveaux commerciaux. Résultat, les nouveaux ont mis seulement 2 mois, au lieu de 4, à être opérationnels. Voyant cela, les « anciens » ont demandé à être équipés eux aussi…

Ce qui vaut pour Berner, dans le secteur de l’outillage professionnel, vaut pour le secteur des PGC ! Une solution comme Opti-Time réintroduit des paramètres business et de la rationalité dans la prise de décision des commerciaux. Spontanément, l’humain fait ce qui lui semble logique, il travaille à l’affect et a tendance à reproduire ses habitudes. Il ne voit pas toujours que cela peut être en contradiction avec ses objectifs. Par exemple, il paraît rationnel de profiter d’une visite dans le point de vente d’une enseigne pour visiter ceux d’autres enseignes à proximité. Mais si la priorité de la marque est de renforcer ses positions dans la première enseigne, c’est un mauvais choix. Si l’outil est paramétré pour prendre en compte cette priorité, il établira un plan de tournée privilégiant les magasins de cette enseigne, quitte à faire quelques kilomètres en plus et moins de visites dans la journée. C’est totalement contre-intuitif pour la plupart des commerciaux, mais beaucoup plus rationnel au regard de la stratégie de la marque et donc de leurs propres objectifs.

Pour les organisations qui travaillent « à l’ancienne », la planification et l’optimisation multicritère des tournées de la force de vente est ni plus ni moins qu’une révolution culturelle ! Cette révolution porte d’autant plus rapidement ses fruits qu’un solide dispositif de conduite de changement est mis en place pour accompagner chaque commercial dans l’adoption de nouvelles méthodes de travail et de nouveaux outils.